2015/03/12

DOCUMENTACIÓN | CUESTIÓN | DANIEL GUÉRIN, EN LA ENCRUCIJADA DE LAS LUCHAS

Daniel Guérin, à la croisée des luttes.
Max Leroy | Revue Ballast, 2015-03-12

https://www.revue-ballast.fr/daniel-guerin-a-la-croisee-des-luttes/ 

Poète, essayiste, théo­ri­cien révo­lu­tion­naire et his­to­rien, cap­tif en Allemagne en 1940, anti­co­lo­nia­liste de la pre­mière heure et par­ti­san du droit des femmes et des homo­sexuels, Guérin fut de toutes les luttes du XXe siècle. Le noyau dur de son œuvre ? Fusionner deux frères enne­mis : l’anarchisme et le mar­xisme. Portrait d’un pen­seur mécon­nu hors des cercles militants.

Le jeune Guérin s’affirma d’abord contre. Sa classe, son milieu, ses ori­gines, sa famille. Qui vécut dans les flancs de la bour­geoi­sie n’ignore rien des igno­mi­nies qu’elle char­rie. L’adolescent, cœur vif-argent et lec­teur de Lamartine – à qui il consa­cra sa thèse –, savait qu’il n’y aurait jamais rien à attendre des pos­sé­dants et des pri­vi­lé­giés. Il en vint, vit et n’en dou­ta plus : il lui fau­dra vaincre jusqu’à ses propres racines. Traître à ses gènes ; par­jure à sa lignée : l’héritier se pré­fé­ra citoyen. « Mes rap­ports avec ma mère sont pro­ba­ble­ment le point le plus déran­gé de mon psy­chisme. » Matrice amère. Ventre sec. Il eut donc les yeux plus gros que ce der­nier : embras­ser le monde entier, celui qui tourne si mal. On quitte tou­jours une famille pour en fon­der une autre, ailleurs, la sienne, où le sens sup­plante le sang, où les frères sont ceux que l’on élit du doux nom de « cama­rades ». Son clan ? Celui que son rang mépri­sait : les sans-grades, les oubliés, les réprou­vés, les colo­ni­sés et les maudits.

Pour un communisme libertaire


Guérin eut une intense vie de mili­tant : il fut tour à tour membre de la Gauche Révolutionnaire, du Parti socia­liste ouvrier et pay­san, de l’Organisation révo­lu­tion­naire anar­chiste et de l’Union des tra­vailleurs com­mu­nistes liber­taires. Il fut éga­le­ment syn­di­qué, son exis­tence durant, auprès de la CGT. Sa vie poli­tique, donc sa pen­sée, peut se résu­mer en trois temps forts : anti-sta­li­nien féroce, Guérin appar­tint d’abord à la gauche mar­xiste, proche du mou­ve­ment trots­kyste (il connut en per­sonne le fon­da­teur de l’Armée rouge, qui le char­gea de la rédac­tion d’une étude), avant d’opter pour l’anarchisme à la fin des années cin­quante, moins auto­ri­taire et plus à même à ses yeux de lut­ter contre la domi­na­tion éta­tique. Il s’orienta ensuite vers une syn­thèse entre les deux mou­ve­ments de pen­sée – posi­tion qu’il conser­va de la fin des années 1960 à sa mort, en 1988.

Il n’apprit pas la lutte dans les livres. Du moins, pas dans l’immédiat. La rue lui ensei­gna les rudi­ments de la révolte : les salles de boxe, les bou­tiques de vélos, les pavés de Ménilmontant, les bouis-bouis pro­los, les auberges et les routes, sacs de cam­ping sur le dos… Il par­ta­geait la vie de ceux qui n’avaient que leurs bras pour vivre et rame­ner le pain dont lui n’avait jamais man­qué. Il décou­vrait avec émer­veille­ment « leur ins­tinct de classe, leur robuste bon sens, leur mer­veilleuse facul­té d’adaptation au monde, leur ingé­nio­si­té com­bi­narde, leur gaie­té invin­cible en dépit d’une chienne de vie ». Tout ne fut pas tou­jours si rose : on l’accueillit par­fois la gueule aux aguets, avec ses mains lisses, trop lisses, ses mains oisives qui souffrent pour un rien… Il ne serait pas le pre­mier fils de bourge à cher­cher à s’encanailler, on les a vus, les gamins des Messieurs et des Madames, on les a vus se frot­ter au popu­lo puis s’en aller un beau jour, comme ils étaient venus, la bave aux lèvres et pas qu’un peu. Guérin crai­gnait tant que ses cama­rades eussent pu décou­vrir, au hasard d’un étal, l’existence de ses pre­miers romans… Certaines pages ne souf­fraient d’aucune ambi­guï­té quant à son atti­rance pour la gent mas­cu­line : il est des péchés, même de jeu­nesse, que l’on ne par­donne point.

Guérin lut Proudhon, Marx, Sorel, Pelloutier, Lénine et Trotsky sur les mers, dans les navires qui reliaient l’Indochine à la France des années 1930. L’auteur du Capital retint tout par­ti­cu­liè­re­ment son atten­tion. Il décou­vrit plus tard son grand rival, l’ogre russe, bar­bu aris­to­crate et défro­qué qui cou­rait l’Europe de bar­ri­cade en bar­ri­cade : Mikhaïl Bakounine. Un nom comme un coup de fouet. On peut sans peine par­ler d’une révé­la­tion. Guérin réa­li­sa au fil des six volumes com­po­sés par l’anarchiste que le socia­lisme n’avait fon­da­men­ta­le­ment pas voca­tion à emprun­ter les voies de l’autoritarisme. Le jaco­bi­nisme cen­tra­li­sa­teur, le Parti, le chef, la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat ? Impasses. Sacrilèges et culs-de-sac. Le bol­che­visme, qu’il admi­rait, devint pour lui l’un des sym­boles de ce que l’affranchissement ne devait être : tota­li­taire, répres­sif, des­po­tique et absolutiste.

Le tout-venant a trop long­temps, par igno­rance ou mau­vaise foi, assi­mi­lé l’anarchisme à la seule contes­ta­tion, à l’ivresse chao­tique, à la pure néga­ti­vi­té infan­tile et des­truc­trice. L’anarchisme n’est pas, écri­vit-il, « l’émiettement, mais la recherche de la véri­table orga­ni­sa­tion, de la véri­table uni­té, de l’ordre véri­table ». Guérin esti­mait que l’anarchisme avait pour lui son génie pro­phé­tique : il décri­vit bien avant la nais­sance de l’URSS, sur la base des ana­lyses mar­xistes, ce que serait un régime com­mu­niste : le pro­lé­ta­riat subi­rait la dic­ta­ture faute de pou­voir l’exercer (lire ou relire Étatisme et anar­chie de Bakounine). L’anarchisme dénon­ça les pré­ten­tions éli­tistes du léni­nisme – l’idée d’une avant-garde éclai­rée – tout comme il mit en garde contre la dan­ge­ro­si­té d’un État tout-puis­sant (Marx et Engels aspi­raient à son dépé­ris­se­ment, les anar­chistes à son anéan­tis­se­ment immé­diat). L’anarchisme, via Proudhon, a pro­mu l’association ouvrière et l’autogestion – autre­ment dit, la démo­cra­tie dans les lieux de tra­vail. L’anarchisme est fédé­ra­liste, il s’oppose à un pou­voir aus­si fort que cen­tral et fait l’éloge du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire. Enfin, l’anarchisme ren­voie dos à dos l’individualisme libé­ral et cer­taines formes, gré­gaires et mou­ton­nières, du com­mu­nisme – il fait l’éloge d’un indi­vi­du auto­nome mais socia­li­sé, affran­chi mais vivant au sein d’une com­mu­nau­té. Guérin pen­sa trou­ver dans cette tra­di­tion, plu­rielle et pro­téi­forme, tout ce qu’il fal­lait pour remettre la Révolution sur les rails. Son ouvrage L’anarchisme, paru en 1965, plai­da ain­si en faveur d’un anar­chisme construc­tif : les pépites noires allaient briller dans le ciel de sang des démo­cra­ties pré­ten­du­ment populaires…

Le temps se flatte d’emporter les pas­sions. Les années passent les cer­ti­tudes à la trappe. Guérin en vint à révi­ser sa posi­tion : le terme anar­chiste lui sem­bla trop réduc­teur. Honteuse pali­no­die ? Le mili­tant réa­li­sa seule­ment qu’il fal­lait net­toyer l’anarchisme de son lot « d’infantilisme, d’utopies, de roman­tismes, aus­si peu uti­li­sables que désuets ». Trop de liber­taires prennent leurs rêves pour une réa­li­té qu’ils ne connaissent que mal. Lyrisme et logor­rhée, chi­mères et caté­chisme, le dra­peau noir a des élans que la rai­son réprouve… Guérin prô­na dès lors, de texte en texte et durant deux décen­nies, une syn­thèse et un dépas­se­ment de l’anarchisme et du mar­xisme (un posi­tion­ne­ment théo­rique que l’his­to­rien anar­chiste Michel Ragon jugea comme une « idée per­ni­cieuse », dans son Dictionnaire de l’Anarchie). C’est ain­si, seule­ment, que l’on pour­rait bâtir une troi­sième voie : ni le réfor­misme social-démo­crate et ses pitre­ries par­le­men­taires, ni le com­mu­nisme de caserne et ses matraques pour tous. Son ouvrage À la recherche d’un com­mu­nisme liber­taire, paru en 1984, rap­pe­la qu’il ne s’agissait ni d’un dogme ni d’un abso­lu mais d’une réflexion sus­cep­tible de nour­rir les pro­chains sou­lè­ve­ments révo­lu­tion­naires. « En pre­nant un bain d’anarchisme, le mar­xisme d’aujourd’hui peut sor­tir net­toyé de ses pus­tules et régé­né­ré », notait celui qui refu­sait d’entériner l’ancestrale que­relle : l’anarchisme et le mar­xisme sont des frères, enne­mis, certes, mais des frères tout de même. Ils par­tagent le même sang, non­obs­tant celui qu’ils firent cou­ler en s’entredéchirant ici ou là — Révolution russe, guerre civile espa­gnole, etc.

En quoi consiste, à grands traits, cette syn­thèse ? Le com­mu­nisme liber­taire (appe­lé par­fois anar­cho-com­mu­nisme) refuse « la pagaille de l’inorganisation tout autant que le bou­let bureau­cra­tique ». Il pré­lève dans le cor­pus mar­xiste (consti­tué par les recherches de Karl Marx et d’Engels) tout ce qui s’avère com­pa­tible avec l’idéal liber­taire et rejette « le vieil anar­chisme démo­dé et fos­si­li­sé ». Il ne croit ni à la toute-puis­sance d’un par­ti ni à l’horizon indé­pas­sable des scru­tins à date fixe. Il n’entend pas s’asseoir à la table de la real­po­li­tik et assis­ter, béat, aux bal­lets diplo­ma­tiques des grandes puis­sances. Il accorde bien plus de cré­dit aux masses qu’aux élites pour régler les crises poli­tiques et s’édifie de bas en haut, par un sys­tème de coor­di­na­tion fédé­ra­liste. Il donne aux tra­vailleurs, via l’autogestion, la pos­si­bi­li­té d’administrer leur propre tra­vail, sans subir l’exploitation patro­nale (et n’abolit pas sur-le-champ la petite pro­prié­té agri­cole, pay­sanne et com­mer­ciale). Il prône, lorsqu’il s’agit d’élire des délé­gués, les man­dats courts, révo­cables et contrô­lables. Il limoge l’oligarchie qui régente les médias de masse, engage un autre rap­port à la nature et réduit la durée du tra­vail. Il entend par pro­lé­ta­riat qui­conque crée de la plus-value ou œuvre aux côtés des tra­vailleurs (intel­lec­tuels ou étu­diants). Il est inter­na­tio­na­liste mais ne compte pas mode­ler les pays dans le même moule uni­fi­ca­teur : chaque peuple dis­pose de ses spé­ci­fi­ci­tés cultu­relles – Guérin avait suf­fi­sam­ment voya­gé pour le savoir.

De l’Indochine aux Black Panthers


1927. Daniel Guérin décou­vrit la Syrie, alors sous man­dat fran­çais depuis sept ans. Le jeune homme avait 23 ans. « Je vis à l’œuvre les colo­nia­listes, mili­taires, civils, ecclé­sias­tiques, leur racisme, leur bru­ta­li­té, leur cynisme, leur fatui­té, leur sot­tise », écri­vit-il plus tard dans Ci-gît le colo­nia­lisme (1973). Il fit la connais­sance de natio­na­listes arabes puis se ren­dit en Indochine. Les auto­ri­tés hexa­go­nales occu­paient la région depuis la moi­tié du XIXe siècle et la métro­pole ran­çon­nait à sa guise les indi­gènes : l’exploitation n’en est plus une dès lors qu’on la farde à la Démocratie. Deux années plus tôt parais­sait Le Procès de la colo­ni­sa­tion fran­çaise, rédi­gé par celui que l’on ne nom­mait pas encore Hô Chi Minh mais Nguyên Ai Quôc – le patriote viet­na­mien y rap­pe­lait des véri­tés fâcheuses : « On voit que, sous le masque de la démo­cra­tie, l’impérialisme fran­çais a trans­plan­té dans le pays d’Annam, le régime mau­dit du Moyen Âge, et que le pay­san anna­mite est cru­ci­fié, par la baïon­nette de la Civilisation capi­ta­liste et par la croix de la Chrétienté pros­ti­tuée. »

Heureux hasard : Guérin arri­va le jour où le Parti natio­na­liste viet­na­mien (socia­liste et révo­lu­tion­naire) orga­ni­sa un sou­lè­ve­ment contre les troupes d’occupation impé­ria­listes : à Yên Bái, des rebelles his­sèrent l’étendard indé­pen­dan­tiste en haut d’une caserne d’infanterie, des sol­dats fran­çais furent tués, d’autres bles­sés ; à Hưng Hoá, un groupe de com­bat­tants ten­ta de s’emparer d’une caserne ; à Lâm Thao, les troupes colo­niales furent désar­mées et le dra­peau bat­tit au vent de la ville libé­rée. Un temps seule­ment. La résis­tance ne man­qua pas d’être écra­sée par l’armée fran­çaise, épau­lée de ses sup­plé­tifs viet­na­miens. L’aviation frap­pa et incen­dia près de soixante-dix habi­ta­tions civiles en guise de repré­sailles. On ne tran­sige pas avec les Droits de l’Homme. Louis Aragon ren­dit hom­mage aux insur­gés dans l’un de ses poèmes : « Yen-Bay / Quel est ce vocable qui rap­pelle qu’on ne bâillonne / pas un peuple qu’on ne le / mate pas avec le sabre courbe du bour­reau ». Quant à Guérin, il ne put sup­por­ter de voir les colons dans les rues, « sang­sues agrip­pées aux flancs de ce pays » qui ne leur appar­te­nait pas mais dont ils se croyaient pour­tant les maîtres. Il ren­con­tra le lea­der natio­na­liste Huyng Thuc Khang et n’oublia jamais cette entre­vue : tout Blanc qu’il fut, l’indépendantiste le trai­ta « comme un frère ».

Son Autobiographie de jeu­nesse témoigne de l’admiration qu’il por­ta à ces jeunes révo­lu­tion­naires asia­tiques « pro­di­gieu­se­ment intel­li­gents et raf­fi­nés ». Le choc fut tel qu’il déci­da, une fois ren­tré en terre natale, de se consa­crer entiè­re­ment à la lutte sociale. Plus de poé­sie, plus de romans, plus d’Art : seule­ment la poli­tique. Écrire, oui, mais à condi­tion que chaque mot ait voca­tion à chan­ger le monde. Planter sa plume dans les plaies. Dégoupiller les syl­labes pour les lan­cer sous les tables des assis et des gens­de­lettres. Creuser dans les nom­brils jusqu’à la terre rouge des dam­nés. Jeter l’encre, par­tout, dans les eaux pro­fondes de la Révolution. Pourquoi faire des livres s’ils ne servent qu’à briller, de salons en prix lit­té­raires ? Chaque page doit prendre le réel à la gorge. Il brû­la ses textes inédits, rom­pit avec son milieu et s’installa dans un quar­tier ouvrier de Paris. « Je reje­tai en bloc tout ce super­flu. » La jeu­nesse n’a pas le goût des com­pro­mis. Guérin entra dans le socia­lisme comme d’autres en reli­gion : foi vorace et zèle au ventre. « La véri­té et la jus­tice » étaient main­te­nant à ses côtés. Il trou­va un emploi dans le bâti­ment puis comme cor­rec­teur et col­la­bo­ra aux jour­naux La Révolution pro­lé­ta­rienne et Le Cri du peuple.

Il se lia au Mouvement natio­nal algé­rien, fon­dé par Messali Hadj, puis ren­con­tra Hô Chi Minh en 1946 afin de l’informer des manœuvres sour­noises de l’esta­blish­ment fran­çais, au len­de­main de la vic­toire contre le nazisme. Deux mois plus tard, le pré­sident viet­na­mien qu’il n’était pas encore écri­vait, dans son texte « Réponse à une mère fran­çaise » : « Les Français ont souf­fert de l’occupation pen­dant quatre années. Pendant quatre années, vous avez fait « la résis­tance et le maquis ». Les Vietnamiens ont souf­fert de l’occupation pen­dant plus de quatre-vingt années ; eux aus­si ont fait la résis­tance et le maquis. Pourquoi les résis­tants fran­çais sont-ils consi­dé­rés comme des héros ? Pourquoi les maqui­sards viet­na­miens sont-ils trai­tés en ban­dits et en assas­sins ? On pré­tend que les Français sont venus en Indochine comme civi­li­sa­teurs. Je veux bien ! Mais on ne civi­lise pas les gens avec des canons et des tanks ! […] Partisans de la fra­ter­ni­té uni­ver­selle, j’aime autant les jeunes fran­çais que les jeunes viet­na­miens. Pour moi, la vie d’un Français ou la vie d’un Vietnamien est éga­le­ment pré­cieuse. » (Hô Chi Minh, Textes 1914–1969, L’Harmattan, 1990).

Diên Biên Phu se révé­la être une vic­toire pour la France : son échec mili­taire fut un triomphe moral — celui de la liber­té, de l’égalité et de la fra­ter­ni­té. Les maqui­sards viet­na­miens redon­nèrent tout son sens à cette Marseillaise qu’ils avaient com­bat­tu : « Quoi ces cohortes étran­gères ! Feraient la loi dans nos foyers ! » Leur suc­cès encou­ra­gea et confor­ta les natio­na­listes algé­riens dans leur désir d’autonomie. Guérin fut l’un des signa­taires du Manifeste des 121, qui sou­te­nait le droit à l’insoumission des mili­taires fran­çais, puis il tra­vailla, un an après l’indépendance de l’Algérie, pour le pré­sident socia­liste Ahmed Ben Bella. Il publia en 1964 L’Algérie qui se cherche, dans lequel il fit part de son expé­rience sur le ter­rain et du « sou­tien cri­tique » qu’il appor­tait au régime. Il livra éga­le­ment l’analyse qu’il effec­tuait de l’autogestion mise en place dans le pays, étu­dia la réforme agraire, le poids de la bour­geoi­sie locale, la situa­tion des femmes ain­si que le rôle de l’armée. Il déce­la dans le nou­veau régime une ten­sion entre deux pôles : l’un auto­ri­taire et conser­va­teur, l’autre socia­liste et liber­taire. Un an plus tard, le pou­voir fut ren­ver­sé par un coup d’État mili­taire fomen­té par le colo­nel Houari Boumédiène. Le pré­sident déchu fut pla­cé en rési­dence sur­veillée jusqu’en 1980 et Daniel Guérin s’impliqua auprès du Comité de défense de Ben Bella.

Guérin vécut éga­le­ment deux ans aux États-Unis et, après l’ouvrage Où va le peuple amé­ri­cain ?, publia en 1973 De l’Oncle Tom aux Panthères, sous-titré Le drame des Noirs amé­ri­cains. Son étude, entre ana­lyse socio­lo­gique, docu­ment his­to­rique et texte mili­tant, appor­tait au lec­teur fran­çais les infor­ma­tions qui lui per­met­traient de sai­sir la nature des luttes afro-amé­ri­caines. Qui était réel­le­ment Malcolm X ? Pourquoi Martin Luther King fut-il assas­si­né ? Quels cou­rants s’affrontaient au sein de l’activisme noir ? Quelle était la place de l’islam ? Que signi­fiait Black Power ? Pourquoi tant de Noirs cre­vaient-ils au Vietnam ? Guérin conclut l’ouvrage en ana­ly­sant les forces et les fai­blesses du Black Panther Party, fon­dé en 1966. Louer leur com­bat tout en dépas­sant le mythe, tel était son objec­tif. Il tint ain­si à mettre en évi­dence « leur ful­gu­rante contri­bu­tion au mou­ve­ment de libé­ra­tion noire » et leur par­ti­ci­pa­tion, aux côtés des acti­vistes blancs, « aus­si cou­ra­geuse qu’active à la dénon­cia­tion de l’impérialisme amé­ri­cain ». Leurs failles ? Le carac­tère uto­pique de leur pro­gramme en dix points, l’existence du culte de la per­son­na­li­té (notam­ment de Huey P. Newton), la rigi­di­té et l’autoritarisme du Parti, sa concep­tion mes­sia­nique de l’avant-garde, son ambi­guï­té quant à l’usage des armes (lorsqu’elles étaient uti­li­sées, par une jeu­nesse mar­gi­na­li­sée, à des fins per­son­nelles) et la sur­re­pré­sen­ta­tion du lum­pen­pro­lé­ta­riat dans ses rangs (dont on sait le peu d’estime que Marx et Engels lui por­taient). Et Guérin de conclure : seule une défaite cui­sante au Vietnam ou une féroce crise éco­no­mique pour­raient être en mesure d’abattre le grand Moloch nord-amé­ri­cain… Une révo­lu­tion natio­nale (à la fois démo­cra­tique, liber­taire et enra­ci­née dans la culture amé­ri­caine) devra sus­ci­ter l’adhésion de toutes les com­mu­nau­tés afin d’écarter les forces libé­rales-capi­ta­listes et cryp­to-fas­cistes du pays – seul un tel mou­ve­ment pour­ra « mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme » tout en anéan­tis­sant le « racisme qui per­sé­cute les Afro-Américains ».

Homosexualité & socialisme

Longtemps, Guérin se sen­tit « comme cou­pé en deux » : le mili­tant révo­lu­tion­naire, d’une part, et l’homme qui, dans son inti­mi­té, entre­te­nait des rela­tions homo­sexuelles (tout en étant marié et père de famille). Dichotomie cruelle et dou­lou­reuse séces­sion. Garder sa langue et son secret dans sa poche. Faire comme si. Rire, sans doute, des calem­bours et des quo­li­bets des copains. Surjouer, pro­ba­ble­ment, la cama­ra­de­rie virile – bour­rades et coups d’épaule. Guérin confia par écrit les humi­lia­tions qu’il eut à endu­rer : « La mufle­rie des homo­phobes ne connaît pas de bornes. Elle est géné­ra­trice, oui, de révolte. » Il fal­lut Mai 68 pour qu’il osa enfin, soixante ans pas­sés, avouer aux autres qu’il n’était pas tout à fait comme eux – du moins, que son amour et ses dési­rs ne cor­res­pon­daient pas aux canons majo­ri­taires. L’avouer puis l’écrire. Quitte à faire le jeu de l’ennemi ; quitte à fra­gi­li­ser son camp.

Plus sin­gu­lier fut le lien qu’il éta­blit entre ses atti­rances pour le sexe mas­cu­lin et son enga­ge­ment poli­tique. Un lien par­fois mal com­pris, mal per­çu, y com­pris par ses frères d’armes. Il racon­ta à plu­sieurs reprises que sa sexua­li­té le condui­sit au socia­lisme puisqu’elle avait fait de lui « un affran­chi, un aso­cial, un révol­té ». Il décou­vrit l’oppression de l’ordre social, capi­ta­liste et bour­geois, par le rejet qu’il subis­sait au quo­ti­dien. Son désir pour les tra­vailleurs manuels lui per­mit éga­le­ment d’entrer en contact avec la classe labo­rieuse et de par­ta­ger leur vécu, leurs souf­frances, leurs espoirs et leur colère. Sa révolte n’avait pas l’odeur du papier ; elle était « sub­jec­tive, phy­sique, issue des sens et du cœur ». Guérin alla même jusqu’à se jus­ti­fier, dans ‘Homosexualité & révo­lu­tion’, de n’avoir jamais man­qué à ses devoirs révo­lu­tion­naires : ses fièvres et ses fureurs, d’une soi­rée ou d’un été, ne nui­sirent jamais à son militantisme.

Guérin esti­mait que l’homophobie ne pou­vait être com­bat­tue par des lois ou des réformes : seule une révo­lu­tion socia­liste et anti-auto­ri­taire (liber­taire, donc) serait en mesure d’y par­ve­nir. Il se leva contre ce qu’il nom­mait « la com­mer­cia­li­sa­tion de l’homosexualité » : une cer­taine fri­vo­li­té et la jouis­sance pour la jouis­sance, tota­le­ment décon­nec­tées, selon lui, de la lutte des classes. Il s’opposa à cette récu­pé­ra­tion mar­chande de la cause homo­sexuelle et dénon­ça, sans cil­ler, l’apolitisme d’un cou­rant qui n’avait d’émancipation que le nom : à quoi bon s’affranchir de cer­taines chaînes s’il faut ensuite glis­ser dans d’autres ? Guérin vili­pen­da les homo­sexuels issus des classes domi­nantes qui s’attiraient « la pro­tec­tion du pou­voir », s’opposa à la consti­tu­tion de « ghet­tos » com­mu­nau­taires et pour­fen­dit l’homosexualité à ses yeux mon­daine et contre-révo­lu­tion­naire. Son mot d’ordre ? Articuler. Ne pas hié­rar­chi­ser les causes mais les lier ensemble, de concert, en sachant qu’elles servent toutes le même objec­tif final : fou­droyer la classe domi­nante. Ni le radi­ca­lisme chic des beaux quar­tiers qui aban­donne la majo­ri­té à son triste sort ; ni l’orthodoxie du socia­lisme scien­ti­fique qui n’a d’yeux que pour l’économie et foule aux pieds les com­bats qu’elle juge périphériques.

Point n’est besoin d’attendre la Révolution, c’est-à-dire la démo­cra­tie admi­nis­trée par le peuple, pour com­men­cer à œuvrer : le com­bat contre l’oppression est affaire de chaque ins­tant. Il mili­ta un temps aux côtés du Front homo­sexuel d’action révo­lu­tion­naire, fon­dé en 1971, mais ne tar­da pas à le quit­ter : il esti­mait que leur acti­visme, volon­tiers pro­vo­ca­teur, spon­ta­néiste et fes­tif (rap­pe­lons le slo­gan des Gazolines : « Prolétaires de tous les pays, cares­sez-vous »), échouait à s’organiser et souf­frait d’un cruel manque de contacts avec les tra­vailleurs. « Le révo­lu­tion­naire pro­lé­ta­rien devrait donc se convaincre, ou être convain­cu, que l’émancipation de l’homosexuel, même s’il ne s’y voit pas direc­te­ment impli­qué, le concerne au même degré, entre autres, que celle de la femme et celle de l’homme de cou­leur. De son côté, l’homosexuel devrait sai­sir que sa libé­ra­tion ne sau­rait être totale et irré­ver­sible que si elle s’effectue dans le cadre de la révo­lu­tion sociale, en un mot que si l’espèce humaine par­vient, non seule­ment à libé­ra­li­ser les mœurs, mais, bien davan­tage, à chan­ger la vie. »

Guérin était lucide : il savait que le monde du tra­vail n’était pas, tant s’en faut, exempt de pré­ju­gés à l’endroit des homo­sexuels. Il admet­tait même que les milieux culti­vés, pro­gres­sistes bons teints ou libé­raux accom­mo­dants, tolé­raient mieux cette sexua­li­té (après tout, n’a‑t-elle pas enfan­té Rimbaud et Gide, Proust et Cocteau, Wilde et Satie ?) que les couches les plus modestes. Guérin a pu consta­ter, de ses yeux, le mépris que les ins­tances com­mu­nistes et trots­kystes affi­chaient à leur endroit. Il a éga­le­ment condam­né la répres­sion exer­cée par cer­tains pou­voirs sup­po­sé­ment socia­listes : à Cuba, sous Fidel Castro, les homo­sexuels furent durant quelques années enfer­més dans des ‘Unidades Militares de Ayuda a la Producción’ (cela signi­fiait-il que la lutte sociale s’avérait incom­pa­tible avec les droits des mino­ri­tés sexuelles ? En rien, répon­dait Guérin : ces régimes n’étaient pas socia­listes mais capi­ta­listes éta­tiques). Il tint tou­te­fois à pré­ci­ser que le tra­vailleur, pris iso­lé­ment, se com­por­tait fort dif­fé­rem­ment : il ne subis­sait plus le consen­sus ni la pres­sion du groupe. Les ouvriers, par­fois, se don­naient sans y pen­ser, pour le plai­sir et pour l’instant, sans honte ni nom­mer le désir qu’ils avaient res­sen­ti. « Seule une socié­té col­lec­ti­viste de carac­tère liber­taire peut, dans la fra­ter­ni­té retrou­vée, faire sa place aux homo­sexuels. »

Le mar­quis de Sade le répu­gnait. Il aimait mieux Charles Fourier, le phi­lo­sophe fran­çais, le socia­liste uto­pique en quête d’harmonie uni­ver­selle. Guérin aspi­rait à rompre avec le rigo­risme mor­ti­fère des révo­lu­tion­naires. Pourquoi rendre la lutte aus­tère et sèche comme du bois mort ? Pourquoi conce­voir l’activisme comme un sacri­fice ? Pourquoi com­battre le cœur empli d’aigreur ? Guérin oppo­sait la volup­té à la Vertu des grands chefs, qu’ils se nom­massent Lénine, Robespierre ou Proudhon… « Baiser, bai­ser beau­coup, serait-ce nuire à l’action révo­lu­tion­naire ou au contraire l’exalter ? » L’élan vital contre le fiel ; la grande san­té contre le res­sen­ti­ment ; Dionysos contre l’idéal ascé­tique : on ne peut chan­ger le monde qu’à condi­tion de l’aimer. Il écri­vit, en 1969, que la nature était fon­ciè­re­ment poly­sexuelle. Les domi­nants recourent à la bio­lo­gie pour jus­ti­fier leurs pri­vi­lèges : si la Femme est par essence ce que l’on attend d’elle, pour­quoi vou­loir la libé­rer ? Guérin refu­sait que l’on pût, en deux cases étanches, enfer­mer les sexes et les réduire à des défi­ni­tions de dic­tion­naire. L’homme serait éter­nel­le­ment voué à jouer les gros bras, va-t-en-guerre et sans pitié ? La femme devrait se satis­faire de son sta­tut de nymphe, sexy ou mutine, femme au foyer ou objet publi­ci­taire ? Guérin aspi­rait au « dépé­ris­se­ment de la détes­table divi­sion des sexes » telle que la socié­té bour­geoise l’institua en por­tant à « l’excès la dif­fé­ren­cia­tion entre le mas­cu­lin et le fémi­nin » et nour­ris­sait l’espoir d’une socié­té où « l’amour des deux sexes serait admis et recon­nu comme la forme la plus natu­relle, la plus cou­rante et la plus com­plète de l’amour ». Même si le terme genre (for­gé dans les années 1950 et uti­li­sé en France qua­rante ans plus tard) ne se trouve pas sous sa plume, on pour­rait sans doute ins­crire Guérin dans ce champ d’études que les anglo­phones appellent ‘gen­der stu­dies’.

Le citoyen sut rede­ve­nir un fils. « Je vou­drais t’exprimer ma pro­fonde recon­nais­sance pour tout ce que je te dois. […] Je t’ai fait souf­frir au cours de ma vie. Mais sans l’avoir jamais vou­lu. J’ai été vic­time de mon tem­pé­ra­ment trop violent, trop contra­dic­toire, de mon besoin extrême d’indépendance. Et là où je t’ai le plus vio­lem­ment heur­té, c’est par fidé­li­té à des convic­tions qui sont ma rai­son de vivre », écri­vit Daniel Guérin à son père, qu’il pres­sen­tait à l’article de la mort. « Tu as tou­ché mon cœur dans ses fibres les plus pro­fondes en me par­lant comme tu as fait. C’est une conso­la­tion pour moi. […] Mon cher fils que, comme ta grand-mère, j’ai ché­ri plus que mes autres enfants, mon pre­mier-né, la plus grande joie de ma vie, je te serre sur mon pauvre cœur qui t’a tant aimé », répon­dit son aîné. Quant à sa mère, rien n’y fit… Il cor­ri­gea l’un de ses manus­crits tan­dis qu’elle ago­ni­sait d’une embo­lie, à quelques mètres de lui.

Daniel Guérin dis­pa­rut quelques semaines avant la réélec­tion de François Mitterrand – pour qui, tout liber­taire qu’il fut, il avait voté sept ans aupa­ra­vant (sur la base des 110 pro­po­si­tions du Programme com­mun). La France entra dans la « rigueur » en 1983 et l’homme d’affaires Bernard Tapie au gou­ver­ne­ment en 1992. Chacun connaît la suite. Un écri­vain meurt sans jamais empor­ter ses pen­sées ; vingt-sept ans ont pas­sé et tant reste à faire. 


Daniel Guérin, en la encrucijada de las luchas.
Max Leroy / Traducido por Jorge Joya | Libértame, 2022-03-12

https://libertamen.wordpress.com/2022/03/12/daniel-guerin-en-la-encrucijada-de-las-luchas-2015-max-leroy/

Poeta, ensayista, teórico revolucionario e historiador, cautivo en Alemania en 1940, anticolonialista precoz y partidario de los derechos de las mujeres y los homosexuales, Guérin participó en todas las luchas del siglo XX. ¿El núcleo de su trabajo? La fusión de dos hermanos enemigos: el anarquismo y el marxismo. Retrato de un pensador desconocido fuera de los círculos militantes.

El joven Guérin se impuso primero en contra. Su clase, su entorno, sus orígenes, su familia. El que vivió en los flancos de la burguesía no sabe nada de la ignominia que conlleva. El adolescente, lector sagaz de Lamartine -a quien dedicó su tesis-, sabía que nunca habría que esperar nada de los poseedores y privilegiados. Llegó, vio y ya no dudó: tendría que superar incluso sus propias raíces. Traidor a sus genes; perjuró a su linaje: el heredero prefirió ser ciudadano. «La relación con mi madre es probablemente la parte más perturbada de mi psique». Matriz amarga. Vientre seco. Así que tenía ojos más grandes que estos últimos: abarcando todo el mundo, el que va tan mal. Siempre se abandona una familia para fundar otra, en otro lugar, la propia, donde el sentido prevalece sobre la sangre, donde los hermanos son los que uno elige con el dulce nombre de «camaradas». ¿Su clan? El que su rango despreciaba: el humilde, el olvidado, el réprobo, el colonizado y el maldito.

Por un comunismo libertario

Guérin tuvo una intensa vida de militante: fue a su vez miembro de la Gauche Révolutionnaire, del Parti socialiste ouvrier et paysan, de la Organisation révolutionnaire anarchiste y de la Union des travailleurs communistes libertaires. También fue sindicalista de la CGT durante toda su vida. Su vida política, y por tanto su pensamiento, puede resumirse en tres grandes etapas: feroz antiestalinista, Guérin perteneció primero a la izquierda marxista, cercana al movimiento trotskista (conoció personalmente al fundador del Ejército Rojo, que le encargó un estudio), antes de optar por el anarquismo a finales de los años 50, menos autoritario y, según él, más capaz de luchar contra la dominación del Estado. A continuación, se orientó hacia una síntesis entre ambos movimientos, posición que mantuvo desde finales de los años sesenta hasta su muerte en 1988.

No aprendió la lucha en los libros. Al menos no inmediatamente. La calle le enseñó los rudimentos de la revuelta: las salas de boxeo, las tiendas de bicicletas, los adoquines de Ménilmontant, las barriadas proletarias, los albergues y las carreteras, las bolsas de acampada a la espalda... Compartió la vida de los que sólo tenían sus brazos para vivir y traer el pan que nunca le había faltado. Descubrió con asombro «su instinto de clase, su robusto sentido común, su maravillosa capacidad de adaptación al mundo, su ingenio para combinar, su invencible alegría a pesar de la dureza de la vida». No siempre fue todo tan de color de rosa: a veces se le recibía con la boca abierta, con sus manos lisas, demasiado lisas, sus manos ociosas que no sufren por nada... No sería el primer hijo de un burgués que busca convertirse en un baboso, los hemos visto, a los hijos de los Caballeros y de las Damas, los hemos visto codearse con el populacho y luego irse un buen día, como habían venido, con la baba en los labios y no sólo un poco. Guérin tenía tanto miedo de que sus camaradas descubrieran, a golpe de talonario, la existencia de sus primeras novelas... Algunas páginas eran inequívocas en cuanto a su atracción por el sexo masculino: hay pecados, incluso de juventud, que no se pueden perdonar.

Guérin leyó a Proudhon, Marx, Sorel, Pelloutier, Lenin y Trotsky en los mares, en los barcos que unían Indochina con Francia en los años 30. El autor de El Capital le llamó especialmente la atención. Más tarde descubrió a su gran rival, el ogro ruso, el aristócrata barbudo y defenestrado que corría de barricada en barricada por Europa: Mijaíl Bakunin. Un nombre como un látigo. Se puede hablar fácilmente de una revelación. A lo largo de los seis volúmenes compuestos por el anarquista, Guérin se dio cuenta de que el socialismo no estaba destinado fundamentalmente a tomar el camino del autoritarismo. ¿Jacobinismo centralista, el Partido, el líder, la dictadura del proletariado? Callejones sin salida. Sacrilegios y callejones sin salida. El bolchevismo, al que admiraba, se convirtió para él en uno de los símbolos de lo que no debía ser la emancipación: totalitario, represivo, despótico y absolutista.

Durante demasiado tiempo, por ignorancia o mala fe, el público en general ha equiparado el anarquismo con la mera protesta, con la borrachera caótica, con la pura negatividad infantil y destructiva. El anarquismo no es, escribió, «el desmoronamiento, sino la búsqueda de la verdadera organización, la verdadera unidad, el verdadero orden». Guérin consideraba que el anarquismo tenía su genio profético: describió mucho antes del nacimiento de la URSS, basándose en los análisis marxistas, lo que sería un régimen comunista: el proletariado sufriría la dictadura por no poder ejercerla (leer o releer 'Etatisme et anarchie' de Bakunin). El anarquismo denunció las pretensiones elitistas del leninismo -la idea de una vanguardia ilustrada- al igual que advirtió del peligro de un Estado todopoderoso (Marx y Engels aspiraban a su desaparición, los anarquistas a su aniquilación inmediata). El anarquismo, a través de Proudhon, promovió la asociación de los trabajadores y la autogestión, es decir, la democracia en el trabajo. El anarquismo es federalista, se opone al poder fuerte y central y alaba el sindicalismo revolucionario. Por último, el anarquismo rechaza el individualismo liberal y ciertas formas gregarias y borreguiles de comunismo: alaba a un individuo autónomo pero socializado, liberado pero que vive dentro de una comunidad. Guérin creyó encontrar en esta tradición, plural y proteica, todo lo necesario para encarrilar la Revolución. Su libro 'L’anarchisme', publicado en 1965, abogaba por un anarquismo constructivo: las pepitas negras brillarían en el cielo sangriento de las llamadas democracias populares...

El tiempo se adorna a sí mismo para llevarse las pasiones. Los años pasan y las certezas se desvanecen. Guérin llegó a revisar su posición: el término anarquista le parecía demasiado reductor. ¿Una palinodia vergonzosa? El militante sólo se dio cuenta de que era necesario limpiar el anarquismo de su lote de «infantilismos, utopías, romanticismos, tan inútiles como obsoletos». Demasiados libertarios toman sus sueños por una realidad que conocen poco. Lirismo y logorrea, quimeras y catecismo, la bandera negra tiene impulsos que la razón reprueba... Guérin abogó desde entonces, de texto en texto y durante dos décadas, por una síntesis y una superación del anarquismo y del marxismo (posicionamiento teórico que el historiador anarquista Michel Ragon juzgó como «idea perniciosa», en su 'Dictionnaire de l’Anarchie'). Sólo así se podría construir una tercera vía: ni el reformismo socialdemócrata y sus payasadas parlamentarias, ni el comunismo de cuartel y sus porras para todos. Su libro 'À la recherche d’un communisme libertaire', publicado en 1984, recordaba que no era ni un dogma ni un absoluto, sino una reflexión susceptible de alimentar los próximos levantamientos revolucionarios. «Bañándose en el anarquismo, el marxismo de hoy puede salir limpio de sus pústulas y regenerado», señaló el hombre que se negó a ratificar la ancestral querella: anarquismo y marxismo son hermanos, enemigos, ciertamente, pero hermanos al fin y al cabo. Comparten la misma sangre, a pesar de la sangre que han derramado luchando entre sí aquí y allá: Revolución Rusa, Guerra Civil Española, etc.

¿En qué consiste esta síntesis, a grandes rasgos? El comunismo libertario (a veces llamado anarcocomunismo) rechaza «el desorden de la inorganización tanto como el ovillo burocrático». Toma del corpus marxista (constituido por las investigaciones de Karl Marx y Engels) todo lo que resulta compatible con el ideal libertario y rechaza «el viejo anarquismo caduco y fosilizado». No cree ni en la omnipotencia de un partido ni en el horizonte inexpugnable de las elecciones con fecha fija. No pretende sentarse a la mesa de la realpolitik y asistir, dichoso, a los ballets diplomáticos de las grandes potencias. Da mucho más crédito a las masas que a las élites para resolver las crisis políticas y se construye de abajo a arriba, mediante un sistema de coordinación federalista. Da a los trabajadores la posibilidad de administrar su propio trabajo mediante la autogestión, sin estar sometidos a la explotación patronal (y no suprime inmediatamente la pequeña propiedad agrícola, campesina y comercial). Aboga por mandatos cortos, revocables y controlables para la elección de los delegados. Desestima la oligarquía que gobierna los medios de comunicación, entabla una relación diferente con la naturaleza y reduce la jornada laboral. Entiende el proletariado como todo aquel que crea plusvalía o trabaja junto a los trabajadores (intelectuales o estudiantes). Era internacionalista, pero no pretendía moldear a los países en un mismo molde unificador: cada pueblo tenía sus propias especificidades culturales; Guérin había viajado lo suficiente para saberlo.

De Indochina a los Panteras Negras

1927. Daniel Guérin descubrió Siria, entonces bajo mandato francés durante siete años. El joven tenía 23 años. «Vi trabajar a los colonialistas, militares, civiles, eclesiásticos, su racismo, su brutalidad, su cinismo, su fatuidad, su estupidez», escribió más tarde en 'Ci-gît le colonialisme' (1973). Se reunió con los nacionalistas árabes y luego fue a Indochina. Las autoridades hexagonales habían ocupado la región desde mediados del siglo XIX y la metrópoli rescataba a los nativos a su antojo: la explotación deja de serlo cuando se enmarca en la Democracia. Dos años antes, se publicó 'Le Procès de la colonisation française' ('El juicio de la colonización francesa'), escrito por el hombre que aún no se llamaba Hô Chi Minh, sino Nguyên Ai Quôc, el patriota vietnamita recordó algunas verdades desafortunadas: «Vemos que, bajo la máscara de la democracia, el imperialismo francés ha trasplantado en el país de Annam, el régimen maldito de la Edad Media, y que el campesino annamita está crucificado, por la bayoneta de la Civilización capitalista y por la cruz del cristianismo prostituido.»

Una feliz coincidencia: Guérin llegó el día en que el Partido Nacionalista Vietnamita (socialista y revolucionario) organizó un levantamiento contra las tropas de ocupación imperialistas: En Yên Bái, los rebeldes izaron la bandera de la independencia en lo alto de un cuartel de infantería, murieron soldados franceses y otros resultaron heridos; en Hưng Hoá, un grupo de combatientes intentó tomar un cuartel; en Lâm Thao, las tropas coloniales fueron desarmadas y la bandera ondeó al viento de la ciudad liberada. Sólo por un tiempo. La resistencia fue aplastada por el ejército francés, apoyado por sus auxiliares vietnamitas. Las fuerzas aéreas atacaron e incendiaron casi setenta casas de civiles en represalia. Los derechos humanos no deben comprometerse. Louis Aragon rindió homenaje a los insurgentes en uno de sus poemas: «Yen-Bay / ¿Qué es esta palabra que nos recuerda que no amordazamos / a un pueblo que no se aparea / con el sable curvo del verdugo?». En cuanto a Guérin, no soportaba ver a los colonos en las calles, «sanguijuelas aferradas a los lados de este país» que no les pertenecía pero del que se creían dueños. Conoció al líder nacionalista Huyng Thuc Khang y nunca olvidó este encuentro: por muy blanco que fuera, el independentista le trató «como un hermano».

La Autobiografía de su juventud atestigua su admiración por estos jóvenes revolucionarios asiáticos, que eran «prodigiosamente inteligentes y refinados». El impacto fue tan grande que decidió dedicarse por completo a la lucha social una vez que regresó a su tierra natal. No más poesía, no más novelas, no más arte: sólo política. Escribir, sí, pero con la condición de que cada palabra tuviera que cambiar el mundo. Plantar la pluma en las heridas. Sacar sílabas para arrojarlas debajo de las mesas de los sentados y los alfabetizados. Para cavar en los ombligos hasta la tierra roja de los condenados. Arrojando tinta, por doquier, a las aguas profundas de la Revolución. ¿Para qué hacer libros si sólo sirven para brillar, desde los salones hasta los premios literarios? Cada página debe tomar la realidad por el cuello. Quema sus textos inéditos, rompe con su entorno y se instala en un barrio obrero de París. «Rechacé toda esta superfluidad. La juventud no tiene gusto por el compromiso. Guérin entró en el socialismo como otros en la religión: fe voraz y celo en el vientre. «La verdad y la justicia» estaban ahora a su lado. Encontró un trabajo en la construcción y luego como corrector de pruebas y colaboró con los periódicos 'La Révolution prolétarienne' y 'Le Cri du peuple'.

Se unió al Movimiento Nacional Argelino, fundado por Messali Hadj, y se reunió con Ho Chi Minh en 1946 para informarle de las maniobras turbias del establishment francés tras la victoria contra el nazismo. Dos meses después, el presidente vietnamita que aún no era escribió, en su texto «Respuesta a una madre francesa»: «Los franceses han sufrido la ocupación durante cuatro años. Durante cuatro años, hicisteis «resistencia y maquis». Los vietnamitas sufrieron la ocupación durante más de ochenta años; también hicieron resistencia y maquis. ¿Por qué se considera héroes a los combatientes de la resistencia francesa? ¿Por qué los maquisards vietnamitas son tratados como bandidos y asesinos? Se dice que los franceses llegaron a Indochina como civilizadores. No me importa. ¡Pero no se civiliza a la gente con armas y tanques! [...] Como partidario de la fraternidad universal, quiero a los jóvenes franceses tanto como a los jóvenes vietnamitas. Para mí, la vida de un francés o la de un vietnamita son igualmente preciosas.» (Hô Chi Minh, Textos 1914-1969, L’Harmattan, 1990).

Diên Biên Phu resultó ser una victoria para Francia: su fracaso militar fue un triunfo moral, el de la libertad, la igualdad y la fraternidad. Los maquisards vietnamitas dieron un nuevo significado a la Marsellesa que habían combatido: «¡Y qué pasa con estos cohones extranjeros! ¡Haría la ley en nuestros hogares! Su éxito animó y reforzó a los nacionalistas argelinos en su deseo de autonomía. Guérin fue uno de los firmantes del Manifiesto del 121, que apoyaba el derecho a la insubordinación de los militares franceses, y luego, un año después de la independencia de Argelia, trabajó para el presidente socialista Ahmed Ben Bella. En 1964, publicó 'L’Algérie qui se cherche', en el que compartía su experiencia en el terreno y su «apoyo crítico» al régimen. También analizó el sistema de autogestión del país, la reforma agraria, la influencia de la burguesía local, la situación de las mujeres y el papel del ejército. Encontró una tensión entre dos polos en el nuevo régimen: uno autoritario y conservador, el otro socialista y libertario. Un año después, el gobierno fue derrocado por un golpe militar instigado por el coronel Houari Boumédiène. El presidente depuesto fue puesto bajo arresto domiciliario hasta 1980 y Daniel Guérin se implicó en el Comité de Defensa de Ben Bella.

Guérin también vivió en Estados Unidos durante dos años y, tras el libro 'Où va le peuple américain?' publicado en 1973 'De l’Oncle Tom aux Panthères', subtitulado 'Le drame des Noirs américains'. Su estudio, que era en parte análisis sociológico, en parte documento histórico y en parte texto militante, proporcionaba al lector francés información que le permitiría comprender la naturaleza de las luchas afroamericanas. ¿Quién era realmente Malcolm X? ¿Por qué fue asesinado Martin Luther King? ¿Qué corrientes estaban en marcha dentro del activismo negro? ¿Cuál era el lugar del Islam? ¿Qué significó el Poder Negro? ¿Por qué murieron tantos negros en Vietnam? Guérin concluye el libro analizando los puntos fuertes y débiles del Partido de las Panteras Negras, fundado en 1966. Su objetivo era elogiar su lucha yendo más allá del mito. Se empeñó en destacar «su deslumbrante contribución al movimiento de liberación negro» y su participación, junto a activistas blancos, «tan valiente como activa en la denuncia del imperialismo estadounidense». ¿Sus defectos? El carácter utópico de su programa de diez puntos, la existencia del culto a la personalidad (sobre todo de Huey P. Newton), la rigidez y el autoritarismo del Partido, su concepción mesiánica de la vanguardia, su ambigüedad sobre el uso de las armas (cuando eran utilizadas por una juventud marginada con fines personales) y la sobrerrepresentación del lumpenproletariado en sus filas (por el que sabemos la poca estima que les tenían Marx y Engels). Y Guérin concluye: Sólo una aplastante derrota en Vietnam o una feroz crisis económica podrían derribar al gran Moloch norteamericano...qxr Una revolución nacional (a la vez democrática, libertaria y arraigada en la cultura americana) tendrá que ganar el apoyo de todas las comunidades para desalojar a las fuerzas liberal-capitalistas y cripto-fascistas del país – sólo un movimiento así podrá «poner fin a la explotación del hombre por el hombre» al tiempo que aniquila el «racismo que persigue a los afroamericanos».

Homosexualidad y socialismo

Durante mucho tiempo, Guérin se sintió «dividido en dos»: el militante revolucionario, por un lado, y el hombre que, en su vida privada, mantenía relaciones homosexuales (estando casado y siendo padre). Una cruel dicotomía y una dolorosa secesión. Guarda tu lengua y tu secreto en el bolsillo. Actuar como si. Riéndose, sin duda, de los juegos de palabras y las ocurrencias de los amigos. Probablemente exagerando la camaradería varonil – bofetadas y golpes de hombro. Guérin escribió sobre las humillaciones que tuvo que soportar: «La grosería de los homófobos no tiene límites. Es una fuente de revuelta.» Hubo que esperar a mayo del 68 para que, sesenta años después, se atreviera por fin a admitir ante los demás que no era del todo como ellos; al menos, que su amor y sus deseos no se correspondían con los cánones de la mayoría. Admitirlo y luego escribirlo. Incluso si eso significaba hacerle el juego al enemigo; incluso si significaba debilitar su campamento.

Más singular fue el vínculo que estableció entre su atracción por el sexo masculino y su compromiso político. Un vínculo que a veces era incomprendido y mal percibido, incluso por sus hermanos de armas. En varias ocasiones dijo que su sexualidad le llevó al socialismo porque le hacía ser «un liberto, un asocial, un rebelde». Descubrió la opresión del orden social, capitalista y burgués a través del rechazo que experimentaba a diario. Su afán por los trabajadores manuales también le puso en contacto con la clase obrera y le permitió compartir sus experiencias, sus sufrimientos, sus esperanzas y su ira. Su revuelta no tenía olor a papel; era «subjetiva, física, desde los sentidos y el corazón». Guérin llegó a justificar, en 'Homosexualité & révolution', que nunca había faltado a sus deberes revolucionarios: sus fiebres y furias, de una tarde o de un verano, nunca perjudicaron su militancia.

Guérin creía que la homofobia no podía combatirse con leyes o reformas: sólo una revolución socialista y antiautoritaria (libertaria, por tanto) podría conseguirlo. Se levantó contra lo que llamó «la comercialización de la homosexualidad»: una cierta frivolidad y el disfrute por el disfrute, totalmente desconectados, según él, de la lucha de clases. Se opuso a esta mercantilización de la causa homosexual y denunció, sin pestañear, el carácter apolítico de un movimiento que sólo era emancipación de nombre: ¿de qué sirve liberarse de ciertas cadenas si luego hay que introducirse en otras? Guérin vilipendió a los homosexuales de las clases dominantes que atraían «la protección del poder», se opuso a la constitución de «guetos» comunitarios y condenó la homosexualidad como mundana y contrarrevolucionaria. ¿Su consigna? Articulado. No para clasificar las causas, sino para vincularlas entre sí, sabiendo que todas sirven al mismo objetivo final: derribar a la clase dominante. No el radicalismo chic de la clase alta, que abandona a la mayoría a su triste destino; ni la ortodoxia del socialismo científico, que sólo tiene ojos para la economía y pisotea las luchas que considera periféricas.

No hay que esperar a que la Revolución, es decir, la democracia administrada por el pueblo, empiece a funcionar: la lucha contra la opresión es una cuestión de cada momento. Durante un tiempo fue miembro del Front homosexuel d’action révolutionnaire, fundado en 1971, pero pronto lo abandonó: consideraba que su activismo, voluntariamente provocador, espontáneo y festivo (recordemos el eslogan de los Gazolines: «Proletarios de todos los países, acariciaos»), no se organizaba y adolecía de una cruel falta de contacto con los trabajadores. «El revolucionario proletario debe, pues, convencerse, o estar convencido, de que la emancipación del homosexual, aunque no se vea directamente implicado en ella, le concierne en el mismo grado, entre otros, que la de la mujer y la del hombre de color. Por su parte, el homosexual debe comprender que su liberación sólo puede ser total e irreversible si se realiza en el marco de la revolución social, en una palabra, si el género humano logra no sólo liberalizar la moral, sino, mucho más, cambiar la vida.

Guérin fue lúcido: sabía que el mundo del trabajo no estaba libre de prejuicios contra los homosexuales. Incluso admitió que los círculos cultivados, progresistas de buen talante o liberales acomodaticios, eran más tolerantes con esta sexualidad (al fin y al cabo, ¿no dieron a luz a Rimbaud y Gide, a Proust y Cocteau, a Wilde y a Satie?) que los estratos más modestos. Guérin pudo comprobar el desprecio que las autoridades comunistas y trotskistas sentían por ellos. También condenó la represión ejercida por algunas potencias supuestamente socialistas: en Cuba, bajo el mandato de Fidel Castro, los homosexuales fueron encerrados durante algunos años en Unidades Militares de Ayuda a la Producción (¿significa esto que la lucha social es incompatible con los derechos de las minorías sexuales? En absoluto, respondió Guérin: estos regímenes no eran socialistas sino capitalistas de Estado). Sin embargo, insiste en señalar que el trabajador, tomado aisladamente, se comporta de forma muy diferente: ya no está sometido al consenso o a la presión del grupo. Los trabajadores a veces se entregaban sin pensarlo, por placer y por el momento, sin vergüenza ni nombrar el deseo que habían sentido. «Sólo una sociedad colectivista de carácter libertario puede, en la fraternidad redescubierta, dar cabida a los homosexuales.»

El Marqués de Sade le repugnaba. Prefería a Charles Fourier, el filósofo francés, el socialista utópico en busca de la armonía universal. Guérin aspiraba a romper con el rigorismo mortificante de los revolucionarios. ¿Por qué hacer la lucha austera y seca como la madera muerta? ¿Por qué concebir el activismo como un sacrificio? ¿Por qué luchar con un corazón lleno de amargura? Guérin opuso la voluptuosidad a la virtud de los grandes líderes, ya se llamaran Lenin, Robespierre o Proudhon... «Follar, follar mucho, ¿perjudicaría la acción revolucionaria o por el contrario la exaltaría?» El impulso vital frente a la hiel; la gran salud frente al resentimiento; Dionisio frente al ideal ascético: sólo se puede cambiar el mundo si se lo ama. Escribió en 1969 que la naturaleza es fundamentalmente polisexual. Los dominantes recurren a la biología para justificar sus privilegios: si la mujer es por esencia lo que se espera de ella, ¿por qué habría que liberarla? Guérin se niega a aceptar que los sexos puedan encerrarse en dos cajas estancas y reducirse a definiciones de diccionario. ¿Estarían los hombres eternamente condenados a jugar a la mano dura, belicosa y despiadada? ¿Deben las mujeres conformarse con su condición de ninfas, sexys o amotinadas, amas de casa u objetos publicitarios? Guérin aspiraba al «marchitamiento de la detestable división de los sexos» instituida por la sociedad burguesa al «diferenciar excesivamente lo masculino y lo femenino» y esperaba una sociedad en la que «el amor de ambos sexos fuera admitido y reconocido como la forma más natural, más común y más completa de amor». Aunque el término género (acuñado en la década de 1950 y utilizado en Francia cuarenta años después) no se encuentra en sus escritos, sin duda podríamos incluir a Guérin en el campo de estudios que los angloparlantes llaman 'gender studies'.

El ciudadano sabía cómo volver a ser hijo. «Me gustaría expresar mi profunda gratitud por todo lo que le debo. [Te hice sufrir durante mi vida. Pero nunca quise hacerlo. Fui víctima de mi temperamento demasiado violento y contradictorio, de mi extrema necesidad de independencia. Y donde te he herido más violentamente es en mi fidelidad a las convicciones que son mi razón de vivir», escribió Daniel Guérin a su padre, al que intuía a punto de morir. «Has tocado mi corazón en sus fibras más profundas al hablarme como lo hiciste. Es un consuelo para mí. [...] Mi querido hijo al que, como a tu abuela, he querido más que a mis otros hijos, mi primogénito, la mayor alegría de mi vida, te llevo cerca de mi pobre corazón que tanto te ha querido», respondió su hijo mayor. En cuanto a su madre, no se pudo hacer nada... Corrigió uno de sus manuscritos mientras ella se moría de una embolia, a pocos metros de él.

Daniel Guérin desapareció unas semanas antes de la reelección de François Mitterrand, a quien, libertario como era, había votado siete años antes (sobre la base de las 110 propuestas del Programa Común). Francia entró en la «austeridad» en 1983 y el empresario Bernard Tapie entró en el gobierno en 1992. Todo el mundo sabe lo que pasó después. Un escritor muere sin llevarse su pensamiento; han pasado veintisiete años y queda mucho por hacer.

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